
Pour être en santé, il faut bien s'alimenter, c’est une évidence. Mais lorsque notre corps, ravagé par la maladie, anesthésié ou incapable d’avaler, ne nous fournit plus l’énergie nécessaire pour combattre des troubles graves comme la COVID-19 intervient un élément essentiel de la lutte contre la pandémie : la nutrition.
L'alimentation est une grosse composante de la survie des patients, affirme Paule Bernier, la présidente de l’Ordre des diététistes du Québec (ODPQ).
Dans les départements de soins intensifs des hôpitaux du Québec, où les cas graves de COVID-19 sont très souvent admis, s’affairent des infirmières, des infirmiers, des médecins, des inhalothérapeutes… et des nutritionnistes, qui très rapidement, devront ajuster l’alimentation des personnes intubées par la voie d’une sonde naso-gastrique, par exemple.
On doit commencer l’alimentation dans les 24 à 48 heures suivant l’admission aux soins intensifs, explique Mme Bernier, qui a travaillé dans ce service pendant 35 ans. Mais on ne peut pas faire n’importe quoi. Il faut vérifier les antécédents, le type de médicament, le type de sédatif... ça prend vraiment une expertise. Les gens ne savent pas vraiment que les nutritionnistes sont autant à l’avant-plan des soins d’urgence.
Par exemple, la fameuse « tempête inflammatoire », celle qui ravage les corps et entraîne souvent la mort des personnes atteintes de la COVID-19, nécessite un apport particulièrement élevé en protéines.
De surcroît, avec la perte d’appétit et celle du sens de l’olfaction qui viennent souvent avec la COVID-19, les malades peuvent avoir de la difficulté à s’alimenter correctement. Les nutritionnistes, qu’on appelle aussi diététistes, favorisent alors une alimentation très dense en nutriments, qui permet de combler les besoins nutritionnels avec de plus petites portions.
Il faut que l’alimentation soit attrayante. Il faut s’adapter, jouer avec les couleurs, les textures, inclure des aliments plus sucrés, plus salés. Paule Bernier, présidente de l'Ordre des nutritionnistes du Québec
Selon la présidente de l’ODPQ, les personnes atteintes du SRAS-CoV-2 qui doivent être hospitalisées demandent de deux à trois fois plus de temps pour les équipes de soins qu’en temps normal, à cause de la nature infectieuse et complexe de la maladie. De plus, elles vivent une énorme perte de masse musculaire, et si on n’intervient pas en terme nutritionnel dès le début, la réhabilitation peut être très longue.
Les nutritionnistes, dont la majorité travaille dans les hôpitaux, sont donc sur la ligne de front contre ce coronavirus, qui a désormais infecté près de 30 000 personnes au Québec. Mais ces chefs d’orchestre ne seraient pas aussi efficaces sans ceux et celles qui s’affairent dans les cuisines des milieux hospitaliers.
Au cœur de la tempête
Aux cuisines de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, on s’attendait au pire lorsque la COVID-19 a commencé à frapper. On anticipait des bris de service à cause d’un trop grand nombre d’infections du personnel, explique la coordonnatrice des services alimentaires du Centre intégré universitaire de santé et des services sociaux (CIUSSS) de l’Est-de-l’île-de-Montréal, Diane Paradis, elle aussi nutritionniste.
L'Hôpital Maisonneuve-Rosemont a été au cœur de la crise.
Bien que sept centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) du CIUSSS aient des taux d’infections à la COVID-19 de plus de 25 %, en plus d’une transmission du virus au sein même de la plupart des départements de Maisonneuve-Rosemont, Mme Paradis affirme que les services alimentaires de l’hôpital ont réussi à tenir le coup.
Elle explique que les mesures de base ont été mises en place pour protéger les membres du personnel, incluant l’installation de panneaux de Plexiglas aux caisses enregistreuses, le port de masques pour le personnel au service et la distanciation physique dans les cafétérias.
Loin de s’arrêter à ces précautions, le service alimentaire de l’hôpital s’est préparé au scénario catastrophe. Pas moins de 20 000 repas ont été préparés et congelés, prêts à nourrir les nombreuses personnes rendues vulnérables par la maladie, ainsi que le personnel de l’hôpital, si les employées et employés venaient à tomber gravement malades.
On s’est réorganisés. Il y a beaucoup de personnes qui s’étaient inscrites sur le site Je contribue! qui sont venues travailler avec nous en cuisine, raconte Diane Paradis. Ce sont des gens extraordinaires.
Plus loin de l’épicentre, au Saguenay, les CHSLD ont quand même dû s’assurer de pouvoir continuer à nourrir la clientèle tout en protégeant le personnel. On ne cuisine plus qu’un seul choix de menu par repas afin de réduire la somme de travail, et ainsi faire plus de désinfection, plus de nettoyage dans la cuisine, fait savoir Charlyne Boivin, nutritionniste et chef du service alimentaire au Centre d'hébergement Jacques-Cartier, à Chicoutimi.
Une autre préoccupation taraude Mme Boivin et ses collègues, celle de la perte d’appétit des résidents et résidentes du CHSLD. On a vu une diminution de l'appétit à cause de l’anxiété créée par la situation. On essaie de faire de la stimulation, faire des activités, pour leur permettre de réduire l'anxiété, et d’améliorer leur apport alimentaire, explique Charlyne Boivin.
Étant donné que la famille n'est pas là, lors des repas, c'est le personnel qui va s'assurer que les gens mangent... c'est sûr qu'on ne remplacera jamais la famille, raconte Mme Boivin.
Paule Bernier ajouter que de fait, l’alimentation en CHSLD est cruciale pour garder sa masse musculaire, garder son immunité la plus forte possible, et donc prévenir les troubles graves comme la COVID-19.
« Pas assez de nutritionnistes »
En cette période de crise, il n’y a pas assez de nutritionnistes pour pallier les problèmes nutritionnels des patients, tranche Paule Bernier.
On a quand même d’autres patients qui sont hospitalisés, et 45 % d’entre eux souffrent de dénutrition. Ils ont encore besoin des services des nutritionnistes. Paule Bernier, présidente de l'ODPQ
La présidente de l’ODPQ dit s’inquiéter non seulement pour les gens atteints du coronavirus, mais aussi pour toutes les autres personnes hospitalisées. Il faut à tout prix que la plus grande partie de ceux qui peuvent être sauvés le soit. Présentement, les nutritionnistes ne sont pas là en CHSLD, décrie Mme Bernier.
L’état nutritionnel des personnes hospitalisées se détériore, les femmes enceintes ne sont pas suivies, elles commencent l’insuline… des nutritionnistes ont été déplacées pour devenir des aide-soignantes dans les CHSLD, mais est-on en train de créer un problème ailleurs? demande la nutritionniste.
À la maison
Vaut mieux prévenir que guérir, dit l’adage, mais quand les demi-vérités et les vendeurs de miracles abondent sur le web, comment démêler le vrai du faux en nutrition?
Le nutritionniste Bernard Lavallée est catégorique : aucun supplément ou aliment miracle ne nous permet de stimuler notre système immunitaire. Il n’y a aucun aliment spécial qu’on doit manger. L’important, c’est de continuer à manger le plus possible pour que notre corps continue de combattre les infections, explique-t-il.
La nourriture, ce n’est pas juste pour notre santé physique, ça a un lien avec la santé mentale, avec notre culture, avec notre famille, avec nos amis, avec notre santé émotionnelle. Bernard Lavallée, nutritionniste
Déjà, le terme “stimuler” m’énerve un petit peu, parce que ça sous-tend que notre système immunitaire est déficient de manière générale, affirme-t-il, manifestement agacé par la pléthore de remèdes allégués qui font leur apparition sur les réseaux sociaux en ces temps de pandémie.
Oui, notre alimentation a un lien avec notre système immunitaire, dans le même sens que notre alimentation a un lien avec n’importe quelle fonction du corps humain, affirme M. Lavallée. On a besoin de vitamines, de minéraux, mais il y a des gens qui jouent là-dessus pour nous dire que si on prend plus de vitamines encore, ça va “stimuler” le système ou qu’il va aller encore mieux.
On voit souvent les aliments comme des médicaments, quelque chose qui a seulement une réaction physique, dénonce Bernard Lavallée. Mais les aliments, c’est beaucoup plus complexe. Il faut arrêter de voir les aliments comme un paquet de nutriments, comme si c’était une pilule.
Réf: ic.radio.canada.ca du 5 mai 2020
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